Julien Gracq, surréalisme et domaines hermétiques
 

On a beaucoup parlé des rapports entre le Surréalisme et le monde mystérieux de l'Alchimie et de l'Esotérisme. L'intérêt que Breton montrait pour les textes alchimiques était évident, surtout à partir du Second Manifeste (57).


Dès leurs débuts, les Surréalistes ont reconnu comme leurs aînés, les grands magiciens du verbe comme Nerval, Rimbaud, Lautréamont.


Le romantisme allemand de Goethe et de Novalis leur a ouvert le royaume magique des alchimistes. Les études de Jules Monnerot (58), de Michel Carrouges (59), de Philippe Audoin (60), ont développé cette idée. Des ouvrages plus spécialisés dans l'hermétisme (61) citent André Breton (62) et les Surréalistes (63) comme les continuateurs d'une longue tradition occulte (64).


Ce que recherche le poète surréaliste c'est une réconciliation du moi avec le monde, hors de tout raisonnement logique et raisonnable. Par-delà le monde qu'il habite, le surréaliste tend à l'illumination. Il est à la recherche d'un point suprême (65) et l'acte poétique réside dans la réconciliation du moi avec le monde, et dans celle des aspects antithétiques qui composent son être. L'institution devient alors, la source de cette poésie, elle permet de déchiffrer par le bais de l'analogie, les lois éternelles qui régissent l'homme et l'univers (mais à la différence des mystiques, ce point suprême n'est pas acquis une fois pour toute ). Chaque acte d'écriture est une recherche de ce point suprême qui peut se renouveler à l'infini. Le poète surréaliste n'agit pour lui seul, il sauve les autres car il devient un voyant, un prophète qui par la magie des mots et des images donne aux autres le moyen de percevoir l'univers dans sa véritable signification. C'est ainsi que le lecteur redonne vie au texte poétique. Il opère une deuxième écriture. Il y a autant de lectures possibles, que de lecteurs, c'est ce qui autorise à écrire une fois de plus sur Gracq.


Les surréalistes, épris de liberté, n'ont pas enfermé leurs textes dans le carcan d'une seule lecture possible. Julien Gracq interrogé à ce sujet, souhaite vivement que son œuvre éveille des analogies (66). Si nous avons choisi une lecture magique et plus souvent même alchimique, c'est que ce domaine nous a fourni le plus d'analogies possibles avec l’œuvre de julien Gracq. Loin de nous l'idée d'avoir trouvé une clé, et d'avoir mis l’œuvre de Gracq, en forme de serrure (67). La preuve de notre sincérité est que la cohérence donnée à l’œuvre romanesque et poétique par l'alchimie (68) ou par une lecture emblématique (69) ne correspond pas à tous les romans, et les récits de La Presqu'île et d'Un Balcon en Forêt y échappent, malgré les thèmes habituels de l'attente, de la mort, de l'amour. Mais peut-être nous trouvons-nous devant les romans les plus réalistes de Julien Gracq, les moins poétiques, ceux où l'image est remplacée par une vision directe de l'événement (70). Or l'alchimie est un monde où l'image est reine, l'art hermétique a employé les images, comme des mots, les assemblant en textes allégoriques, défendant une philosophie ou retraçant des opérations mystiques.


Les anciens alchimistes recherchaient à travers les perfectionnements des métaux celui de leur âme. Leurs savantes transmutations métalliques correspondaient à l'amélioration progressive de leur être. Le surréalisme dans sa révolution de l'art, a été entre autres profondément influencé par l'Alchimie, tant d'un point de vue artistique que philosophique.


Breton a insisté sur l'analogie des recherches alchimiques et surréalistes. Il a cité la Cabale, Hermès, Nicolas Flamel, Cornélius Agrippa, Eliphas Lévi...


La Tour Saint Jacques, riche d'un passé qui réveille le nom de Nicolas Flamel est devenu un lieu fascinant pour André Breton, un pôle magnétique de son errance à travers Paris.

Les peintres surréalistes sont encore plus sensibles à l'Art Royal, (autre nom de l'Art Alchimique ). On ne citera que Max Ernst (71), André Masson (72) et Wolfrang Paalen (73).


Il est bien certain qu'on ne trouvera pas chez tous les surréalistes de véritables connaissances en la matière. Ils sont trop rêveurs et peu scientifiques pour cela. Breton a précisé sa pensée dans les Manifestes (74), dans le Surréalisme et la Peinture et dans certains articles recueillis dans les pas perdus (75) et dans Point du Jour (76).


On découvre qu'il fut particulièrement sensible aux relations qui naissent entre la transmutation alchimique et la Métamorphose Poétique (77). C'est en ce sens que Rimbaud devint pour les surréalistes le grand voyant, le sage ; ce même Rimbaud qui hante les pages d'Un Beau Ténébreux (78) et de Liberté Grande (79) de Julien Gracq.


On a beaucoup commenté cette phrase de Breton : "Alchimie du verbe... Ces mots demandent à être pris au pied de la lettre" (80). Il est dangereux de sortir une phrase de son contexte et de forcer un sens peu clair. Ne perdons pas de vue que les phrases lapidaires d'André Breton étaient toujours plus ou moins polémiques. Il ne s'agit pas de prendre trop au sérieux tout ce qui a pu être dit dans les manifestes surréalistes.


Néanmoins il ressort de ces textes une certaine philosophie : le poète est en quête de son moi intérieur comme l'alchimiste du moyen-âge était à la recherche de la Pierre Philosophale (81). Moyen de parvenir à l'or, l'art est le lieu magique où se réalise la transmutation du métal vil qui est en occurrence, la banalité, le quotidien, en métal noble qui est le point suprême vers lequel tendent tous ses efforts. L’œuvre d'art est un écran sur lequel se projettent ses rêves, ses aspirations, sa quête humaine et spirituelle.


Dans l’œuvre écrite les mots ont un pouvoir incantatoire. C'est alors que s'expliquent les messages de l'écriture automatique, et dans le domaine pictural les apparitions médiumniques des taches d'encre dont Oscar Dominguez a montré le procédé (82). Le rationnel est banni autant du langage alchimique que du langage surréaliste. Rappelons-le, pour les surréalistes, il ne s'agissait en aucune manière de se plier à quoi que ce soit, pas même au symbolisme de l'art alchimique, large, mais répondant tout de même à certaines normes. Après avoir reconnu des affinités nombreuses avec l'art alchimique, les surréalistes ont souvent utilisé certains de ces matériaux et parfois ils ont réussi, grâce à une intuition toute poétique, à retrouver les grands principes du symbolisme hermétique.


Certaines richesses du texte Gracquien, ont été jusqu'à maintenant laissées dans l'ombre ; seuls en tout dernier recours Henri Plard (83) et André Peyronnie (84) ont soulevé le voile sur les liens qui existeraient entre l’œuvre de Julien Gracq et une certaine littérature marginale ayant quelques rapports avec l'hermétisme.


La conclusion d'Henri Plard est que l’œuvre de Gracq ferait "appel à la notion de roman initiatique" (85). C'est une idée chère aux hermétistes que les grandes œuvres artistiques ont quelques rapports avec l'ésotérisme. Selon eux, elles cacheraient, sous une fabulation, un sens second, compréhensible seulement d'un petit nombre de lecteurs "initiés" à certaines sciences, philosophies ou sociétés secrètes (86). Et Henri Plard, cite dans la veine du roman initiatique, le dernier livre d'Apulée L'Ane d'Or, Les Noces Chimiques de Christian Rosencrutz et Heinrich Von Ofterdingen de Novalis (87).


Les résultats sont parfois contestables et, à vrai dire, les liens évoqués résultent trop souvent d'un anthropomorphisme inhérent à ces deux mondes proches que sont l'art et l'ésotérisme.

Plus intéressante paraît être l'allusion de Peyronnie à un "certain nombre de références à l'occultisme" (88) décelées dans Au Château d'Argol. Léon Cellier (89) et Hermine Riffaterre (90) ont également signalé le climat initiatique dans lequel baigne la prose de Gracq.


Nous y avons à notre tour relevé un certain nombre de points communs avec les textes traditionnels de l'hermétisme. Et au fur et à mesure que les analogies et les correspondances apparaissent, une cohérence du texte prenait jour. Mais nous insistons sur le fait que notre but est différent de celui d'Henri Plard : il ne s'agira pas de montrer que l’œuvre de Gracq est destinée à la divulgation d'un grand message enfoui, mais seulement de montrer comment elle fait écho à certains textes hermétiques, en retrouvant certains de leurs thèmes de prédilection : la quête de la connaissance, l'initiation, l'attente, l'union des contraires, homme et femme, corps et esprit...


Il convient, avant de nous pencher sur l'imaginaire Gracquien parallèlement à l'imaginaire alchimique et ésotérique de nous interroger sur les sources possibles dont Julien Gracq a pu se servir éventuellement.

Cela n'est qu'une mise au point, une étape qu'il faudra dépasser car elle ne présente que peu d'intérêt en somme, puisque notre étude se situe au niveau purement imaginaire. Avons-nous quelques preuves de son intérêt pour l'hermétisme, l'alchimie en particulier ? Nous lui avons posé la question. Gracq a suivi avec intérêt les conférences de René Alleau (91) en 1952 et 1953 à la Société de Géographie de la Sorbonne, sur la littérature alchimique traditionnelle (92). De plus, Gracq a lu et possède notamment les ouvrages de Fucanelli (93) et de Canceliet (94). Les sociétés occultes ne l'ont pas laissé indifférent, et un personnage comme Gurdjieff (95) l'a intéressé tout en l'inquiétant. La lecture de Fragments d'un Enseignement Inconnu, d'Ouspenski (96) semble l'avoir particulièrement frappé. Il connaît également certains ouvrages de Steiner (97). En outre, Gracq a évoqué devant nous, ce jour où un alchimiste dont il avait oublié le nom (98), posa sur la table devant Breton et des amis, un objet assez gros, de couleur magnifique et qu'il disait être d'origine alchimique. Il en a gardé un souvenir exceptionnel. Il est assez extraordinaire de voir comment Gracq, s'approche des œuvres alchimiques beaucoup plus prés que Breton ne l'a fait car il y avait chez Breton, une volonté de faire, qui peut-être le desservait.


Mais l'intérêt de Julien Gracq pour l'ésotérisme et pour la vie de certains personnages qui ont défrayé la chronique de leur temps, n'est pas seulement livresque. En effet, comme tous les surréalistes, il est intrigué par les phénomènes qui défient la logique et les sciences établies. Il a possédé notamment un jeu de tarot divinatoire et nous a dit s'en être servi autrefois car il y réussissait fort bien ! (a-t-il ajouté avec un sourire malicieux ). Il semble faire parti de ces gens qui ont un certain don pour ces domaines mystérieux.

Julien Gracq insiste souvent sur le fait que lorsqu'il écrit, il fait "table rase", de tout ce qu'il sait, de tout ce qu'il a pu lire. Tout un climat se crée et l'inconscient se met à reconstruire selon les lois du rêve, avancées par C.G. Jung dans Psychologie et Alchimie.


La recherche des sources conscientes, littéraires, artistiques, géographiques ou historiques, a déjà été abordée par la critique (99). Elle ne sera reprise ici que rapidement (et après vérification auprès de l'écrivain afin d'éviter toute erreur possible ). Ces sources sont de toute façon assez limitées, le monde de Gracq étant beaucoup plus proche du rêve que de la réalité.


Beaucoup plus intéressante nous paraît être la création inconsciente, d'un monde, où les méthodes et la philosophie rejoignent certains grands textes alchimiques. Insistons pour éviter tout malentendu sur le fait que Julien Gracq n'a pas inventé les mots et les idées se rapportant à l'alchimie ; nous avons vu qu'il connaît des textes ésotériques et qu'il a fait l'approche du symbolisme hermétique par l'intermédiaire du Tarot.


Loin de nous l'idée d'en faire un écrivain médiumnique (100), nos compétences en la matière ne nous le permettant pas, mais notons que l'écrivain peut, être ou ne pas être, conscient de cet emploi de mots, de cette reconstruction imaginaire. Les mots sont vraiment la "matière" (101) de ses récits. On n'insistera jamais assez sur l'importance du "verbe" dans l’œuvre de Gracq. On constate dans sa conversation la difficulté qu'il a à retenir certains noms, et la facilité à en retenir d'autres. Il retient parfois certaines syllabes, certaines lettres ; de toute façon, cela semble avoir peu d'importance pour lui. Ce qui préoccuperait le plus Gracq, dans l'Alchimie serait de savoir si l'alchimie est vraiment opérative, si on peut toucher, voir de ses yeux de chair. Or, Gracq, fait voir et toucher dans son œuvre tout un climat et une mystique alchimique, qui se dégagent par l'intermédiaire d'une véritable magie de l'écriture.


57. Au sujet de l'intérêt de Breton pour l'Alchimie et pour l'ésotérisme, voici ce que nous a écrit Julien Gracq : "Breton a très bien connu Renée Alleau, dont les conférences sur l'alchimie l'avaient frappé, il s'est intéressé de très prés aussi aux ouvrages de Cancelier et de Fulcanelli, mais je ne crois pas qu'il y ait eu de contact direct. L'intérêt qu'il portait à l'occultisme était évident, surtout après 1945 : il a même été proche de soutenir une interprétation initiatique de toute la grande littérature poétique du 19éme siècle."

- Breton, Arcane XVII. (Paris, Pauvers, coll. 10 - 18), p. 105. "L'ésotérisme, toutes réserves faites sur son principe même, offre au moins l’immense intérêt de maintenir à l'état dynamique le système de comparaison, de champ illimité, dont dispose l'homme, et qui lui livre les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés, et lui découvre partiellement la mécanique du symbolisme universel. Les grands poètes de ce dernier siècle l'ont admirablement compris, depuis Hugo dont viennent d'être révélées les attaches très étroites avec l'école de Fabre d'Olivet, en passant par Gérard de Nerval dont les sonnets fameux se réfèrent à Pythagore, à Swedenborg en passant par Baudelaire qui emprunte aux occultistes leur théorie des "correspondances", par Rimbaud dont, à l'apogée de son pouvoir créateur, on ne saurait trop souligner le caractère des lectures –il suffit de se reporter à la liste déjà publiée des ouvrages qu'il emprunte à la bibliothèque de Charleville - jusqu'à Apollinaire chez qui alternent l'influence de la cabale juive et celle des romans du Cycle d’Arthur. N'en déplaise à quelques esprits qui ne savent jouir que de l'étale et du clair, en art ce concept n'a cessé et ne cessera de sitôt d'être gardé.

Consciemment ou non, le processus de découverte artistique, s'il demeure étranger à l'ensemble de ses ambitions métaphysiques, n'en est pas moins inféodé à la forme et aux moyens de progression, même de la haute magie. Tout le reste est indigence, est platitude insupportable, révoltante : panneaux-réclames et bouts-rimés. "

- G. Durozoi, et B. Lecherbonnier, Le Surréalisme, Paris, Larousse, coll. TT, pp. 13-16 ; Y Duplessis, Le Surréalisme. Paris, PUF, 1971, p. 18.

58. Jules Monnerot, La Poésie Moderne et le Sacré. Paris, 1945.

59. Michel Carrouge, André Breton et les Données Fondamentales du Surréalisme. Paris, N.R.F. . Gallimard, 1970.

60. Philippe Audouin, Breton. Paris N.R.F. , Gallimard, 1970.

61. Serge Hutin, Histoire de l'Alchimie. Paris, Marabout Université, 197 ? , p. 273.

62. Avant propos aux Figures Hiéroglyphiques de Nicolas Flamel par René Alleau, Paris, Denoël, coll. Hermética. 1970, p. 13 : "Nicolas Flamel et le Surréalisme". "Les lecteurs du second manifeste du surréalisme ont regretté, peut être, de ne pas mieux connaître certaines œuvres alchimiques, où André Breton a vu la préfiguration de l'art surréaliste : "Je demande qu'on veuille bien observer, que les recherches surréalistes présentent avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but : la pierre philosophale n'est rien autre que ce qui devrait permettre à l'imagination de l'homme de prendre sur toutes choses une revanche éclatante... nous n'en sommes peut être qu'à orner modestement les murs de notre logis de figures qui tout d'abord, nous semblent belles à l'imitation de Flamel, "sa matière", son "fourneau". Il aimait à montrer ainsi "un Roi avec un grand coutelas, qui faisait tuer en sa présence par des soldats, grande multitude de petits enfants, les mères desquels pleuraient aux pieds des impitoyables gendarmes, le sang desquels petits enfants, étaient puis après recueilli par d'autres soldats et mis dans un grand vaisseau, dans lequel le soleil et la lune venaient se baigner" et tout près il y avait " un jeune homme avec des ailes au talon, ayant une verge caducée en main de laquelle il frappait une salade qui lui couvrait la tête. Contre icelui venait courant et volant à ailes ouvertes un grand vieillard, lequel sur sa tête avait une horloge attachée «. Ne dirait-on pas Le tableau surréaliste ? ». (Les manifestes du surréalisme) Paris.1955. pp. 86-87.

63. Jacques Van Lennep, Art et Alchimie. Bruxelles, Meddens, 1966. (préface de Serge Hutin). Cet ouvrage a été publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique ; Collection Art et Savoir.

64. C. Abastado, Introduction au Surréalisme. Paris, Bordas, 1971, p. 149.

65. Michel Carrouges, André Breton et les Données du Surréalisme. Paris, N.R.F., 50, p. 23 : Un Beau Ténébreux. p.65 : "Oui, depuis longtemps l'idée flotte dans mon esprit qu'il est un point en lui (univers) d'où tout se découvre, un certain levier qui donne prise sur lui ".

66. Conversation particulière.

67. Lettrines. p. 48 ; cf. supra note 52 , p. 40

68. Au Château d'Argol ; "la route" dans La Presqu'île

69. Schéma initiatique dans "Le Roi Cophétua" (La Presqu'île) ; schéma tiré du symbolisme universel par le moyen de la lecture du Tarot, dans "Venise" de Liberté Grande ; lecture mystico-religieuse dans Le Rivage des Syrtes.

70. Robert Poulet, Aveux Spontanés. Paris, Plon, 1963, pp. 119 à 120 ; (même idée tirée par Gracq au cours d'une conversation particulière que nous avons eue avec lui ). Gracq avant d'écrire Un Balcon en Forêt a senti le besoin de se baigner dans le cadre et l'atmosphère des Ardennes. Cf. Les Cahiers de l'Herne, p. 216 : "quant au livre, il a été écrit à partir d'une reconnaissance très rapide de la forêt d'Ardenne. Le livre a été écrit fin 56 ou 57 probablement, puisqu'il est de 1958. Il s'est trouvé que le recul par rapport à la guerre était suffisant, et qu'il était temps d'écrire ce que j'avais envie d'écrire là-dessus, mais je ne savais pas où le livre allait se fixer. Cela s'est décidé d'une manière un peu fortuite, en automne. Je me souviens très bien, il faisait une belle journée d'Octobre.

J'étais à Paris et j'ai eu envie d'aller voir l'Ardenne. J'ai pris le train, et j'ai débarqué, et j'ai marché". Le sujet d'Un Balcon en Forêt, c'est la guerre, non pas la guerre des obus, des avions et de la peur, mais la drôle de guerre, interminable, morose, et pleine d'ennui.

Il est rare que J. Gracq, s'inspire, comme dans ce roman, d'un fait précis et vécu, ou d'un pays longuement observé. Même lorsque l'écrivain choisit des régions qui semblent bien définies, elles sont néanmoins ré-imaginées : à propos des "Hautes Terres du Sertalejo" Liberté Grande, il écrit : "à ma connaissance, les Hautes Terres du Sertalejo n'existent pas : le nom est inventé. Il s'agit des hauts plateaux de la Bolivie et du Pérou, interprétés ou reconstruits très librement par l'imagination : je n'ai jamais été en Amérique du Sud" (Correspondance particulière).

Et, c'est la même chose pour "La basilique Pythagoricienne" Liberté Grande découverte à Rome par Carcopino : "Oui, je connaissais l'existence de cette basilique souterraine (J'ai été l'élève de Carcopino autrefois). Mais c'est le nom seulement que j'ai utilisé pour l'appliquer à des objets purement imaginaires. Le poème ne se réfère à aucune réalité". (Correspondance particulière). Il ne faut donc pas chercher une réalité quelconque dans les récits et dans les poèmes de J. Gracq et pourtant dans le domaine du réalisme à propos d'Un Balcon en Forêt, nous citerons un petit détail qui est tout de même significatif : l'aspirant Grange relit " le Journal de Gide qui venait de paraître et les Mémorables de Swedenborg dans une édition anglaise" p. 94. On a retrouvé le même choix de livres dans un souvenir personnel de l'écrivain relaté dans Lettrines 2, p. 142 : " Mes cantonnements du temps de guerre. (...) j'y lisais le soir Swedenborg et le Journal de Gide qui venait de paraître ".

71. Max Ernst, Les Noces Chimiques, 1948.

72. André Breton, Le Surréalisme et la Peinture. Paris. Gallimard, nouvelle édition 1965, p. 154. André Masson, "Les quatre Eléments ".

73. André Breton, Le Surréalisme et la Peinture. Paris. Gallimard, nouvelle édition 1965 P. 78 ibid. Les environs du Château d'Argol 1941 de Kurt Séligmann passionné par l'occultisme à partir de 1940 (U.S.A) The Mirror of Magic 1948 .

74. Voir supra note 62. p. 43

75. André Breton, Les Pas Perdus. Paris. Gallimard, 1969 P. 85.

76. André Breton, Point du Jour. Paris. Gallimard, nouvelle édition 1970

77. André Breton, Manifeste du Surréalisme, voir supra note 62. p. 43

78. Voir supra note 38. p. 38

79. Voir supra note 38. p. 38

80. André Breton, Manifeste du Surréalisme, 1924, 30, Paris. Gallimard, 67 P. 134 et sq.

81. Voir supra note 62. P. 43

82. Oscar Domonguez, "Décalcomanies", 36, dans A.Breton, Le Surréalisme et la Peinture. pp. 128, 129 : "Ce que vous avez devant vous n'est peut être que le vieux mur paranoïaque de Vinci, mais c'est ce mur porté à sa perfection qu'il vous suffise, par exemple d'intituler l'image obtenue en fonction de ce que vous y découvrez avec quelque recul pour être sûr de vous être exprimé de la manière la plus personnelle et la plus valable".

83. Henri Plard, Affinités Electives : Jünger et Gracq dans Marginales, p. 35-52.

84. André Peyronie, La Pierre de Scandale du Château d'Argol dans Archives des Lettres Modernes, Paris, Minard, 1972, n° 133, p. 59 : "On découvrirait d'ailleurs, sans peine dans ce roman, un certain nombre de références à l'occultisme. Il est vrai que l'on peut assigner au point suprême de Breton une origine ésotérique. Selon Michel Carrouges, le surréalisme n'aurait fait que " laïciser " une idée chère à la tradition hermétique. Mais l'on pourrait aussi bien, le rapprocher du Graal ou encore du Zen. " Vous savez (écrit Gracq) que les surréalistes ont pensé qu'il y avait une analogie entre le point suprême dont parle Breton (d'où le positif et le négatif, le jour et la nuit, etc... cessent d'être perçus contradictoirement ) et le satori du Zen, sorte d'illumination subite ou de saut brusque où toute contradiction disparaît. Cette réalisation du moi et l'existence du monde sensible, me paraît toujours la seule chose qui vaille d'être recherchée " (réponse manuscrite de J. Gracq à la question : "Etes vous intéressé par le bouddhisme ?" - En annexe à l'ouvrage de Bernhild Boie, Hauptmotive in Werke Julien Gracqs. Wilhem Fink Verlag.

85. Voir supra note 83. P. 47. L'idée de roman initiatique semble être perçue différemment par Henri Plard et par les critiques littéraires comme Léon Cellier et Simone Vierne qui se sont penchés sur la question. Nous citons Henri Plard, pour montrer la fragilité de son argumentation et le manque de preuves apportées (il est vrai qu'il rédige un article et non une thèse). Il semble se retrancher derrière l'attitude qui invoque le secret des hermétistes. Nous lui empruntons seulement sa conclusion comme point de départ, en lui préférant, par la suite, l’attitude plus scientifique par sa méthode et par son objet de Léon Cellier (Circé, Cahiers de recherches de Grenoble, dirigés par G. Durand, n° 2 et 3) et de Simone Vierne.

86. C'est un peu l'attitude d'Henri Plard.

87. Henri Plard, dans Marginales, p. 52

88. Voir supra note 84. P. 47.

89. Léon Cellier, L'Epopée Humanitaire et les Grands Mythes Romantiques. Paris, S.E.D.E.S., 71, 2éme éd., p.129 : "Avant J. Gracq, romancier surréaliste, Ballanche connaît l'art de faire espérer au lecteur une révélation. Nous avons l'impression, remarque Hunt, avec quelque chose d'unique à nous dire.

L'attente croît de page en page, mais Fulcanelli dans un autre article de 1948 "La Lampe dans l'Horloge" et "Pont Neuf " repris tous deux dans Clé des Champs (pp.144, et 275).

90. Hermine Riffaterre, L'Orphisme dans la Poésie Romantique.  « Ce qui compte, de notre point de vue, c'est que nous avons affaire à une œuvre dont le seul ressort poétique est l'attente d'une révélation, ressort dont l'efficacité tient justement à ce que la révélation n'est jamais complète, à ce que le mystère recule sans se dissiper, à la fois barrière et tentation : il est significatif que Léon Cellier exégète de ballanche, l'ait rapproché de ce propos des surréalistes et en particulier de Julien Gracq - témoignage de réussite ». ; Ibid. , p. 91 note 13 : « Il songe évidemment à l'atmosphère d'Au Château d'Argol dont la poésie tient à ce que tous les détails du décor semblent symboliques, à ce que l'action prépare à la révélation d'un mystère, sans que jamais on sache ce que représentent les symboles ni le sens du mystère ». Paris: Nizet, 1970), p. 91.

91. Réponse manuscrite de Renée Alleau, 27 novembre 1972. Gracq entretient toujours avec Renée Alleau des relations amicales.

92. Cf. Jean-Louis Bédouin, Vingt Ans de Surréalisme. : « Toujours dans le premier numéro de Médium, Breton rappelle que "René Alleau poursuit chaque dimanche à partir de cinq heures, à la Salle de Géographie... la série de ses conférences sur "Les Textes Classiques de l'Alchimie". D'octobre 1952 à janvier 1953 est étudié l'ouvrage d'Eyrénée Philaléthe : L'Entrée Ouverte au Palais Fermé du Roi, Londres, 1669. Exposé impeccable, voir hautement qualifiée. La discussion qui s'engage à la fin de chaque séance avec un auditoire inévitablement des plus mêlés est un modèle de tenue ». Serge Hutin nous a confié que les deux seules fois où il avait vu Gracq en public, c'était à l'occasion de ces fameuses conférences. Paris: Denoël,  61), p. 224-242 ; p. 225.

  1. 93. Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, Paris, Schemit, 1930.

Fulcanelli, Le Mystère Des Cathédrales, Paris, Schemit, 1926.

Fulcanelli était l'écrivain moderne auquel Breton faisait le plus allusion lorsqu'il parlait d'ésotérisme et d'alchimie. Dans un article qui date de 1948 : « Fronton Virage »  repris dans La Clé des Champs. Paris, Pauvert, 1967, il cite l'hermétiste huit fois en l'espace de 10 pages : p. 234, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243. Quant aux citations prises directement dans l’œuvre de Fulcanelli, on en trouve dix, pp. 234 note 7, 238 note 10, 239 notes 11-12-13, 240 notes 14-15, 241 note 16, 242 note 19, 243 note 20. Breton avait Fulcanelli en grande estime et il ne manque pas de lui faire des louanges, pp. 237, 239, 240, 241. "Fronton Virage" était un article consacré à Raymond Roussel à propos de l'étude faite par Jean Ferry sur ce poète. Breton préfère à cette étude de Ferry, une lecture alchimique qu'il fait lui-même à l'aide des Demeures Philosophales de Fulcanelli. Breton cite une fois de plus Fulcanelli dans un autre article de 1948 "La Lampe dans l'Horloge" et "Pont Neuf " repris tous deux dans Clé des Champs  (p.144, et 275).

94. Eugène Canselier, Deux Logis Alchimiques, Paris, Schemit 45 ; Alchimie, Paris, Pauvert, 64 ; L'Alchimie Expliquée sur ses textes Classiques. Paris, Pauvert, 1972.

95.Gurdjieff (1872-1949), fondateur du Prieuré d'Avon où mourut Katherine Mansfield en 1923.

96.Ouspensky, Fragments d'un Enseignement Inconnu. Paris Stock, 1950.

97.Rudolf Steiner (1861-1925), participa au mouvement théosophique de Mme Blavatsky et il resta en relation avec Annie Besant. Mais l'orientalisme exagéré de la Société Théosophique l'incita à s'en séparer et à fonder son propre mouvement, "Anthroposophie", plus proche de la tradition occidentale et chrétienne. Pour Rudolf Steiner, les âmes ont été émises à partir de la Substance divine éternelle.

Ce sont des rayons lumineux qui émanent d'un même foyer central. Mais le péché, les a emprisonnées dans la matière et les a alourdies. Les exercices spirituels ont du coup naît une déception d'un autre ordre, et le lecteur se prend à murmurer le vers de Baudelaire : "La toile était levée, et j'attendais encore".

Seul revient, obsédant, le motif martiniste, la triade sacrée : "Epreuve... Expiation... Initiation...". Au livre IX, la loi que les Parques ont écrite en signes brillants sur la bande zodiacale, ne manque pas cependant de faire son effet, tant par son étrangeté que par sa disposition typographique. Faut-il voir là, une tentative annonçant "le Coup de dés" mallarméen ! ".

90.Hermine Riffaterre, L'Orphisme dans la Poésie Romantique. Paris, Nizet, 1970, p. 91. "Ce qui compte, de notre point de vue, c'est que nous avons affaire à une œuvre dont le seul ressort poétique est l'attente d'une révélation, ressort dont l'efficacité tient justement à ce que la révélation n'est jamais complète, à ce que le mystère recule sans se dissiper, à la fois barrière et tentation : il est significatif que Léon Cellier exégète de ballanche, l'ait rapproché de ce propos des surréalistes et en particulier de Julien Gracq - témoignage de réussite". ; Ibid. , p. 91 note 13 : "Il songe évidemment à l'atmosphère d'Au Château d'Argol dont la poésie tient à ce que tous les détails du décor semblent symboliques, à ce que l'action prépare à la révélation d'un mystère, sans que jamais on sache ce que représentent les symboles ni le sens du mystère ".

91.Réponse manuscrite de Renée Alleau, 27 novembre 1972. Gracq entretient toujours avec Renée Alleau des relations amicales.

92.Cf. Jean-Louis Bédouin, Vingt Ans de Surréalisme. Paris, Denoël, 61, pp. 224-242 ; p. 225 : "Toujours dans le premier numéro de Médium, Breton rappelle que "René Alleau poursuit chaque dimanche à partir de cinq heures, à la Salle de Géographie... la série de ses conférences sur "Les Textes Classiques de l'Alchimie". D'octobre 1952 à janvier 1953 est étudié l'ouvrage d'Eyrénée Philaléthe : L'Entrée Ouverte au Palais Fermé du Roi, Londres, 1669. Exposé impeccable, voir hautement qualifiée. La discussion qui s'engage à la fin de chaque séance avec un auditoire inévitablement des plus mêlés est un modèle de tenue". Serge Hutin nous a confié que les deux seules fois où il avait vu Gracq en public, c'était à l'occasion de ces fameuses conférences.

93.Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, Paris, Schemit, 1930.

Fulcanelli, Le Mystère Des Cathédrales, Paris, Schemit, 1926. Fulcanelli était l'écrivain moderne auquel Breton faisait le plus allusion lorsqu'il parlait d'ésotérisme et d'alchimie. Dans un article qui date de 1948 : "Fronton Virage " repris dans La Clé des Champs. Paris, Pauvert, 1967, il cite l'hermétiste huit fois en l'espace de 10 pages : pp. 234, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243. Quant aux citations prises directement dans l’œuvre de Fulcanelli, on en trouve dix, pp. 234 note 7, 238 note 10, 239 notes 11-12-13, 240 notes 14-15, 241 note 16, 242 note 19, 243 note 20. Breton avait Fulcanelli en grande estime et il ne manque pas de lui faire des louanges, pp. 237, 239, 240, 241. "Fronton Virage" était un article consacré à Raymond Roussel à propos de l'étude de Jean Ferry sur ce poète. Breton préfère à cette étude de Ferry, une lecture alchimique qu'il fait lui-même à l'aide des Demeures Philosophales de Fulcanelli. Breton cite une fois de plus justement pour but d'alléger les âmes, et de leur permettre de réintégrer leur vraie nature originelle. Il admet la doctrine de la réincarnation, et affirme que Dionysos et Mithra se sont réincarnés dans Jésus. Le fondateur de l'Anthroposophie fit construire un centre en Suisse. C'est le Goetheanum, de Dornach. L'édifice fut incendié en 1922, mais reconstruit par la suite.

98.Nous avons interrogé à ce sujet Michel Carrouges. Pour lui, il s'agissait de Baskine qu'il considère plus comme un peintre magique que comme un alchimiste. Maurice Baskine était connu dans le milieu surréaliste pour la réalisation d'un genre personnel de "frottages". Voici la réponse manuscrite de J. Gracq (23 mars 1972) : "Il s'agit bien en effet du peintre Baskine comme vous l'indique Carrouges. J'ai vu l'objet chez Breton qui disait le tenir de Baskine ; il semble que Carouges (ou Patri ?) était présent. La date, je ne peux me la rappeler". Michel Carouges ajoute : "Je l'ai souvent rencontré au groupe surréaliste (en 1949-1950) (...). L'emploi du terme (d'alchimie) par Baskine n'était d'ailleurs pas gratuit, mais analogique. Je l'ai vu procéder à une "transmutation" du noir au blanc, puis après un passage au noir, puis grattage, qui "évoque" des figures spontanées, un peu dans l'esprit des premières expériences de Max Ernst. C'était littéralement merveilleux. J'ajouterais seulement qu'il était plutôt "magique" que "mystique". "On trouve le nom de Maurice Baskine dans un document surréaliste collectif : "Des Surréalistes à Garry Davis". Février 1949, dans, J.L. Bédouin, Vingt ans de Surréalisme. Paris, Denoél, 1961, p. 310.

99- Jean-Louis Leutrat, Julien Gracq. Coll. Classiques Universitaires du XX ème siècle, 1966. - Annie-Claude Dobds, Dramaturgie et Liturgie dans l'Oeuvre de Julien Gracq. Paris. José Corti, 1972.

100. Julien Gracq est étonné par les résultats qu'il obtenait dans le domaine du Tarot ; voir supra p. 25.

101. Le mot "matière" doit être pris ici dans le sens de la "materia prima", "matière première" des alchimistes ; cf. infra, IIIe partie, chapitres 1 et 2.

Marguerite-Marie Bénel-Coutelou, Magies du Verbe chez Julien Gracq, Thèse pour le Doctorat de troisième cycle de Littérature française, Université Paul Valéry de Montpellier, Novembre 1975.