Les éléments
 

Les noms, les personnages, l’espace et le temps ne sont pas les seuls éléments significatifs dans l’univers imaginaire créé par Julien Gracq. Nous avons vu comment le poète surréaliste, et en particulier Julien Gracq, était à la recherche d’un monde originel, d’un éden à l’état pur : ce monde est étrangement animé de plantes, de pierres et parfois, mais plus rarement d’animaux.


C’est dans un récit tiré de la Presqu’île "La Route" que les éléments, qui constituent le règne végétal, nous ont semblé les plus significatifs, c’est pourquoi nous avons choisi de faire une étude exhaustive de ce récit à partir de ces trois éléments ou thèmes.


Il est difficile de qualifier "La Route" du nom de récit, ou de poème. Il occupe une vingtaine de pages d’un recueil paru en 1970 sous le titre de la Presqu’île (151)."La Route" est le plus déroutant des trois récits de ce recueil. Il ne nous enchante pas comme un poème de Liberté Grande. Du narrateur, nous ne saurons pas grand chose. Mais néanmoins son récit est assez précis dans le temps et dans l’espace. "Ce fut, si je m’en souviens bien, dix jours après avoir franchi la Crête que nous atteignîmes l’entrée du Perré" (152).


Son premier soin est de faire un relevé exact, minutieux des terrains que la route traverse. Et c’est là que réside le caractère le plus étrange des récits de Julien Gracq. Cette route semble se situer à la lisière d’un monde. Ce n’est plus un chemin mais une digue, une sorte de grande muraille de Chine qui parcourrait un pays méditerranéen.


Les Marches peuvent nous faire penser à l’Italie, mais d’autres noms géographiques sont là, pour nous signaler que nous faisons erreur à vouloir toujours situer, vérifier, classer.


Nous l’avons déjà vu, chez Gracq un récit évoque des réminiscences, géographiques, historiques. Avec La Route, on ne peut s’empêcher de penser à son roman Le Rivage des Syrtes, au roman de Dino Buzzati "Le Désert des Tartares"(153), au roman préféré de Julien Gracq, Sur les Falaises de Marbre d’Ernst Jünger (154). Mais revenons à l’emploi de noms propres et plus précisément au mot Perré. La notion de digue est renforcé par l’emploi que J. Gracq fait du mot "perré". Il fait d’un nom commun un nom propre. Un perré est un revêtement de pierre qui protège les abords d’un pont. Voici ce qu’on peut lire dans un dictionnaire : "mur, revêtement en pierres sèches qui protège un ouvrage et empêche les eaux de le dégrader, ou les terres d’une tranchée de s’effondrer.- Revêtement de pierre qui protège les abords d’un pont". Outre le Perré, nous rencontrons d’autres noms propres : la Crête, les Marches, le Mont-Marbré, le Royaume, la Montagne ; ce Mont-Marbré, ce Royaume, cette Montagne sont plus symboliques que réels. La Route est la dernière ligne de vie entre le Royaume et la Montagne qui sont les deux pôles du récit.


La Route est un récit dont la forme est originale dans l’œuvre de Julien Gracq (155). Outre l’intérêt habituel qu’il porte au règne végétal, et au règne minéral, il dresse tout un bestiaire, auquel l’auteur ne nous a pas habitués.


La Route et le règne végétal

Le règne végétal est toujours présent dans l’œuvre de Julien Gracq. Relevons tout de même les nombreuses allusions et images se reportant à la végétation, qui sont particulièrement nombreuses (156). –taillis (p.9) - feuilles mortes (p.10) – herbes (p.10) –bois noir (p.10) – champs (p.10) – clairière d’herbes (p.10) – lisière de forêts (p.10) – lichen gris (p.11) – sève (p.11) – végétait à travers les friches (p.11) – talus (p.12) – prairies des vallées (p.12) – hautes herbes (p.12) – buissons (p.12) – arbres (p.12) – champs (p.13) – venelles (p.13) – bois (p. (p.13) – crépus d’herbes (p.14) – orties (p.14) épines noires (p.14) – prunelliers (p.14) – herbe fraîche (p.14) – arbre (p.14) – plante sauvage (p.14) – odeur de plantes (p.15) – branches mouillées (p.15) – ombelles (p.15) – forêt (p.16) – feuilles jaunies (p.16) – voûtes vertes (p.16) – voie forestière (p.16) – gazon fin (p.16) – rougi de fraises (p.16) – sous-bois mouillé (p. 16) – mousses humides (p.16) – champignons frais (p.16) – bois (p. 16) – arbres (p.16) – forêt (p.16) – sous-bois frais (p.17) – rideau de branches (p.17) – tache plus sombre des forêts (p.17) – plaine d’herbes (p.17) – chardons (p.18) – orties (p.18) – broussaille hirsute (p.19) – forêts (p.19) – troncs nus (p.19) – premières branches (p.19) – taches cultivées (p.19) – herbes hautes (p.19) – plantes sauvages (p.19) – bouillons blancs (p.19) – coquelicots (p.19) – chaume pourri (p.19) – plantes laineuses et ternes (p.19) – flot de pommiers (p.19) –herbes folles (p.20) – plantes lépreuses, poilues (p.20) – lisière de bois (p.21) – trois ou quatre ormes géants (p.21) – troncs (p.21) – hautes herbes (p.21) – foin sûri (p.21) –branche fleurie (p.27) – verdure jaune (p.27) – épines (p.27). Le relevé des termes relatifs au règne végétal s’élève à soixante sept : il est intéressant dans la mesure où il révèle le peu de poésie des images (encore que les images soient peu nombreuses ).


On note quelques couleurs : du gris, du blanc, du noir. Le rouge des fraises et des coquelicots éclate sur la gazon, mais l’ensemble des couleurs est terne, sombre. Le nom des arbres est rarement précisé : trois ou quatre ormes – prunelliers – pommiers. Le reste du temps ce sont "des arbres", le nom des herbes n’est pas non plus précisé. Nous sommes loin des brillantes évocations d’Au Château d’Argol, mais loin aussi des images surréalistes de Liberté Grande ou du Rivage des Syrtes. Mais voyons si le règne minéral nous apporte quelques éléments de poésie.


La Route et le règne minéral

La route en tant qu’objet est essentiellement minérale : elle est faite de pierres ; elle traverse des territoires qui appartiennent au règne minéral : Chemin pavé (p.9) – diamant (p.9) –maçonnerie compacte de blocs anguleux (p.10) – galets ronds (p.10) – béton (p.10) – pavage de gosses dalles plates (p.10) – digue (p.10) – mur (p.11) –dalles (p.11) – ornières (p.11) – roche (p.11) – gouttière (p.11) – route fossile (p.11) – soubassement de la chaussée (p.12) – dallage submergé (p.12) – éboulis (p.12) – fond empierré (p.12) – pays de sable (p.12) – cailloux (p.12) – pavés marbrés (p.14) – lit caillouteux (p.14) – collines caillouteuses (p.15) – campagnes crayeuses (p.15) – pavage clair (p.15) – joint de dallage (p.15) – crête (p.15) – gorges coupées d’éboulis (p.15) – glissements de terrains (p.15) – pierrailles (p.16) – coulée caillouteuse (p.16) – le pavé (p.16) – terreau noir (p.16) – digue de pierre (p.16) – mur invisible (p.16) – strates confuses (p.17) – grève (p.17) – travaux de terrassement (p.17) – glacis (p.18) – murs lézardés (p.20) – murs fumeux (p.20) – pierres tombales (p.21).


Nous avons pu relever 40 termes précis appartenant au vocabulaire de la maçonnerie et au règne minéral ; et, nous faisons la même remarque que pour le règne végétal : aucun élément de poésie, nous ne trouvons que des narrations précises, concrètes.


La Route et le règne animal

L’originalité de La Route réside dans le nombre relativement élevé d’animaux ou allusion au règne animal qui animent les quelques vingt pages du récit : Chevaux (p.10) – comme le cheval tâte encore du sabot (p.12) – sabot (p.13) – troupeau de petit bétail (p.13) – bêtes libres (p.13) – galop d’une harde (p.14) – sanglier avec sa laie et toute la file des marcassins (p.14) – poil mouillé (p.14) – clairière où les bêtes parlaient aux hommes (p.14) – bêtes (p.14) – les bruits des bêtes (p.15) – où les chevaux bronchaient (p.16) – pas des chevaux (p.16) – des passées de bêtes (p.16) – escargots (p.20) – couleuvres (p.20) – aboiement de chien (p.21) – les chevaux entravés (p.21) – bête des bois (p.22) – les fiantes d’une bête (p.22) – voleurs de chevaux (p.24) – cheval entier (p.24) – les chevaux (p.25) – à cheval (p.26) – ciselet boiteux (p.26) – oiseaux de mer (p.27).


Nous avons pu relever 26 images et allusions se rapportant directement au règne animal. Si nous voulons être plus précis, nous pouvons dresser le bestiaire de ce récit : chevaux, bêtes sauvages, sangliers, escargots, couleuvres, chiens. Ici encore, peu d’éléments poétiques, le bestiaire de La Route est terrestre, sans grâce, sans élégance. Des chevaux dont nous n’entendons que le pas.


Là où réside habituellement la grande poésie de Julien Gracq dans le règne végétal et dans le règne minéral, nous n’avons découvert que des notations dépersonnalisées, dépoétisées. Le monde des animaux, innovation du récit est lui aussi dépourvu de tout élément poétique. Serions-nous devant un texte dénué de tout élément poétique ? Non, car la poésie de La Route se trouve ailleurs : Le récit de Gracq prend une nouvelle dimension lorsque nous nous tournons du côté des êtres humains qui habitent ou longent cette Route. Nous trouvons tout d’abord les deux principaux personnages : - le narrateur – son compagnon, Hal.


Ces deux personnages rencontrent au long de la route deux sortes de personnages : - des forestiers, charbonniers, plus ou moins voleurs ou pillards, des "hors la loi". des femmes qui ne sont pas sans évoquer des Amazones. Elles vivent en marge de la société des hommes. Quand un voyageur passe, elles vont au-devant de lui, et s’offrent à lui. "La Route mêlait les temps" (157), Carbonari, miliciens, amazones, font un étrange halo humain le long de cette route. La seule poésie du texte réside dans ses rencontres avec ces jeunes femmes, belles, libres, à la fois indépendantes et féminines dans l’amour : «(…) et c’était soudain toute une femme, chaude, dénouée comme une pluie, lourde comme une nuit défaite, qui se laissait couler entre vos bras" (158). Chez J. Gracq la poésie est un indice. L’important du récit réside dans cette union, entre le narrateur, et la femme en général, par l’intermédiaire de son compagnon, au nom bizarrement germanique dans un récit méditerranéen, Hal. La fin du récit n’est pas moins signifiante : " (…) et le geste me vint encore, (…) avec une espèce de tendresse farouche et pitoyable, de les baiser sur le front” (159).


La Route, par ses nombreuses références au monde animal, au monde végétal, nous plonge dans un récit de vingt pages, lent, où il ne se passe rien, sinon l'écoulement du temps et des lieux (160). C'est le retour à une vie antérieure en marge de la société, après un cataclysme semble-t-il : guerre, invasion ou autre. C'est presqu'une suite du roman d'Ernst Jünger : Sur les Falaises de Marbre. La Route, ce sont les Falaises de Marbre après destruction du pays par le Grand Forestier par le pillage et l'incendie. Dans le roman de Jünger, les deux ermites s'embarquent pour se réfugier auprès du peuple des montagnes de Plana-Alta, de l'autre côté de la mer. Chez Gracq, les deux personnages reviennent dans le pays saccagé. Ils reprennent le Grand Chemin. “On s'engageait dans celui là comme on s'embarque sur la mer” (161).


Julien Gracq s'est posé des questions sur le roman de Jünger, sur les emblèmes qu'il renfermait. Il nous a ainsi ouvert la voie; posons-nous à notre tour des questions: ne peut-on envisager La Route de Gracq comme une route initiatique ? La littérature hermétique renferme maints récits allégoriques sur le voyage (162). Nicolas Flamel (163), sous le voile de l'allégorie d'un voyage à St Jacques de Compostelle, a révélé les secrets du Grand-Œuvre. Selon lui, il s’est déguisé lui même sous les traits du Sujet des Sages ; "Donc (…) je me mis en chemin, et enfin j’arrivai à Monjoye, et puis à St Jacques, (…)" (164). Laissons la parole à Fulcanelli : C’est là le premier secret, celui que les philosophes ne révèlent point et qu’ils réservent sous l’expression énigmatique du Chemin de St Jacques. Ce pèlerinage, tous les alchimistes sont obligés de l’entreprendre. Au figuré du moins, car c’est là un voyage symbolique (…). Chemin rude, pénible, plein d’imprévus et de dangers. (…) C’est cette préparation délicate de la première matière, ou mercure commun, que les sages ont voilés sous l’allégorie du pèlerinage de Compostelle. Notre mercure nous croyons l’avoir dit, est ce pèlerin, ce voyageur auquel Michel Maïer a consacré un de ses meilleurs traités" (165). les alchimistes ont coutume de distinguer deux voies : la voie sèche, rapide, terrestre ; la voie humide, longue : "En ce cas, le pèlerin choisissant la route maritime, s’embarque sous la conduite d’un pilote expert, médiateur éprouvé (…)" (165). Dans La Route, les deux voies apparaissent. Mais la voie humide semble être préférée à la voie sèche : "Mais surtout me plaisait ce chemin perdu quand, des jours entiers parfois, il s’engageait dans les forêts" (167).


-Hal, compagnon du narrateur, est ce médiateur entre le voyageur et les habitants des lisières de la forêt. "Hal, qui se sentait en sympathie avec ces flâneurs distants de la forêt, avait le don de les mettre assez souvent en confiance : quelquefois, ils s’enhardissaient jusqu’à s’asseoir un moment auprès de notre feu de camp, et nous déchiffrions par bribes la vie clairsemée qui coulait autours de nous" (168). Nous avons vu (169) comment le prénom de Hal peut évoquer le sel.


Cette analogie prend ainsi toute sa cohérence : le narrateur (mercure) et Hal (sel) rencontrent des femmes dont la vie rappelle celle des Amazones, elles s’unissent à l’homme qu’elles ont choisi. "Il n’y avait rien de vil ni de vulgaire dans ces rencontres" (170). Elles vont par deux, par trois "à cheval presque toujours" (171). "(…) deux silhouettes noires et fragiles, (…) auxquelles les pesantes bottes de voyage donnaient un sautillement d’oiselet boiteux : elles se tenaient par le doigt sans rien dire…" (172). Nous imaginons assez mal ces oiseaux sans ailes, mais une fois de plus Don Pernety nous tire d’embarras :  "les oiseaux sans ailes sont le Soufre des Sages, ils vont par deux, et ils se tiennent par la queue"(175). Une image vient appuyer l’analogie avec l’oiseau : "elles mordillaient une branche fleurie"( 174). La beauté du récit, nous l’avons vu réside dans l’union du narrateur, (mercure) et de la femme (soufre). Après vérification des éléments, La Route est proche d’une route initiatique, une voie lactée, suivie par le poète.

Empruntant, probablement sans le savoir, le canevas de son récit, aux récits allégoriques, Gracq retrouve le chemin qui mène à la découverte de la Pierre Philosophale dans l’union du mercure et du soufre, par l’intermédiaire du sel.


Du point de vue allégorique le récit est très intéressant, car contrairement à la tradition alchimique, le mercure est ici représenté par un homme, qui est le narrateur, le voyageur ; et le soufre par une femme. Mais il est proche en cela de Nicolas Flamel.


Après cette étude, tout le mystère n’est pas éclairci, il resterait à montrer l’importance du chiffre dix. "Ce fut, si je m’en souviens bien, dix jours après avoir franchi la Crête que nous atteignîmes l’entrée du Perré" (175). Dix est le chiffre pythagoricien par excellence (176). Il symbolise l’achèvement. Le mot perré outre le sens que nous lui avons trouvé, peut, par la cabale phonétique, chère aux hermétistes, évoquer ce lieu géographique de la Charente – Maritime, le Peré. Ce nom, d’après Fulcanelli, viendrait du latin et signifierait poirier. Or le poirier représente "l’œuvre au jaune" c’est à dire la Pierre Philosophale but principal de tout alchimiste. Fulcanelli nous éclaire en décrivant le symbolisme du caisson 2 de la IIe série provenant du château de Dampierre "Digns, Merce, Labore" : "Travail dignement récompensé". "(C’est) le gemme ( ?) hermétique ; pierre philosophale du Grand Œuvre" (177). Mais ce n’est là qu’un rapprochement, mais il fallait le faire car l’intérêt réside dans le nombre de ces analogies ; les terres de Crête, de "passes du Mont-Harbré" (178) nous intriguent de même. La Crête évoque la couleur rouge, mais aussi le sommet dentelé d’une montagne. Le mot "passes" semble devoir être pris dans le sens précis de "canal entre deux terres, entre deux écueils" (Littré).


Il semble que le lecteur de Gracq suive un chemin bien périlleux. Les écueils le guettent, ce sont ceux de l’interprétation. La poésie garde son mystère. Plus le mystère se laisse deviner, plus rapidement il se dérobe. Le texte chez Gracq est magique ; il se tient miraculeusement entre le réel et l’imaginaire, le vécu et le non vécu. Ceci est vrai pour La Route, mais il est vrai aussi pour les autres œuvres. Le poète cherche une adhésion complète ; un poème doit être lu avec passion, ou rejeté.


A partir du moment où on adhère, il faut faire confiance en l’écrivain et bien comprendre qu’il connaît au moins instinctivement la signification de ce qu’il écrit, mais qu’il ne nous laisse que quelques indices pour entrevoir quelques lambeaux de vérité. Seul le créateur, par la pratique de la poésie peut être ce point suprême où l’homme et l’Univers sont réconciliés dans une pureté originelle.


Il est troublant de constater combien ce texte si étrange de La Route, prend toute sa signification et son unité lorsqu’on le rapproche d’un contexte alchimique où La Route ne représente que la voie où le chercheur, le poète et l’alchimiste parfois s’engagent.


Dans l’œuvre de Julien Gracq, tout au moins dans la majorité de ses récits, nous avons trouvé toute une symbolique des noms, des personnages, de l’espace, du temps et de certains éléments relatifs au thème du règne végétal, du règne minéral, et du règne animal, or, nous précisons bien que cette symbolique n’est pas un but en soi. L’écrivain n’a pas cherché à transmettre un message quelconque, lisible pour les seuls "initiés". Il offre simplement au lecteur un ensemble poétique, cohérent, dont les éléments s’enchaînent mystérieusement, comme magnétisés par des pôles qui parfois nous échappent. La cohérence ainsi obtenue ne répond pas toujours aux lois de la logique, de la psychologie, du réalisme ou du raisonnement, mais à des lois autres, beaucoup plus profondes, enfouies dans le tréfonds de l’inconscient, et des anciennes croyances de l’humanité. Mircea Eliade note à ce sujet : "La pensée symbolique n’est pas le domaine exclusif de l’enfant, du poète ou du déséquilibré, elle est consubstantielle à l’être humain : elle précède le langage et la raison discursive. Le symbole révèle certains aspects de la réalité- les plus profonds- qui défient tout autre moyen de connaissance" (179).


Nous avons au cours de cette seconde partie, rapproché des symboles les uns des autres, des images les unes des autres ; nous avons montré à partir d’"une" lecture, la cohérence d’un texte, mais cela ne veut, en aucune façon, dire que nous avons trouvé "la" seule des lectures possibles, à supposer qu’elle existe, ce qui est peu vraisemblable. Bien au contraire, cette lecture doit être mise en regard avec d’autres, afin de démontrer qu’elles se rejoignent toutes pour dessiner les fondements, les structures de l’imaginaire Gracquien.


"C’est dans l’image comme telle, en tant que faiseur de significations qui est, et non pas une seule de ses significations ou un seul de ses nombreux plans de référence. Traduire une image dans une terminologie concrète en la réduisant à un seul de ses plans de référence c’est pis que la mutiler, c’est l’anéantir, l’annuler comme instrument de connaissance. Sur le plan même de la dialectique de l’image, toute réduction exclusive est aberrante" (180).

Marguerite-Marie Bénel-Coutelou, Magies du Verbe chez Julien Gracq, Thèse pour le Doctorat de troisième cycle de Littérature française, Université Paul Valéry de Montpellier, Novembre 1975.